L'optimisme: point de vue de la recherche


Quelle place en pédagogie??

Un article du blog L'école de demain m'a interpelé récemment. L'auteur y présente « Osez les pédagogies coopératives au collège et au lycée  », le livre de pédagogie pratique rédigé par une équipe d’enseignants du collège Lucien Vadez de Calais (62) et publié aux éditions ESF Sciences Humaines en 2018. Le titre de l'article est "L'optimisme des pédagogies coopératives". L'ouvrage est une excellente source d'inspiration pour les enseignants et constitue une mine d'outils pratiques pour débuter une classe coopérative au second degré. Au delà du fond de cet article de blog, son titre a capté mon attention et éveillé en moi un questionnement.

On dit de moi que je suis optimiste. Cette partie de ma personnalité me porte certainement au quotidien, guide et facilite mes choix, apaise mes collègues et amis, les agace aussi parfois...L'optimisme m'a-t-il ouvert les portes de la pédagogie coopérative? L'optimisme relierait-il les enseignants désireux de mettre en œuvre cette pédagogie en classe? Ne sommes-nous pas également pessimistes parfois? L'optimisme n'est-il pas naturellement enseigné et entraîné dans les classes coopératives? L'optimisme pourrait-il être le ciment de ces classes? A-t-on besoin d'optimisme à l'école? L'enfant et le jeune en devenir ne gagneraient-ils pas en confiance en soi et en estime de soi s'ils portaient un regard optimiste sur eux-même et leur avenir? La pédagogie peut-elle être optimiste? L'ingénierie de formation d'enseignants et de formateurs peut-elle également être optimiste? L'optimisme s'apprend-il?

Curieuse d'aller plus loin dans cette réflexion, je me suis plongée dans la lecture de l'article passionnant de Charles Martin-Krumm dans les cahiers internationaux de psychologie sociale "L'optimisme: une analyse synthétique" (2012, N°93, p103-133)., puis du livre de Martin Seligman La force de l'Optimisme.

Dans cet article, Charles Martin-Krumm nous éclaire sur le concept et présente les derniers résultats de la recherche qui tendent à expliquer qu'un individu peut tout à la fois être optimiste et pessimiste selon des contextes et les moments de sa vie. Martin Seligman, qui présente ses travaux de recherche  dans son livre, décrit comment il a confirmé la capacité des individus à développer un mode de pensée optimiste et partage aujourd'hui avec enthousiasme ses stratégies d'accompagnement et de développement personnel. Il a prouvé également la corrélation entre le mode de pensée explicatif optimiste (que nous décrirons plus bas) et la réussite scolaire et professionnelle. 

Communément "être optimiste c’est être confiant dans l’issue positive d’un événement, alors que le pessimisme, c’est plutôt s’attendre au pire,[...]". Charles Martin-Krumm décrit dans son article deux conceptions coexistantes: la conception directe (plus particulièrement celle de Carver et Sheier) qui consiste en une croyance en un avenir radieux (et peut s'éloigner d'une conception chrétienne) et  la conception indirecte (la théorie des styles explicatifs de Martin Seligman notamment) qui consiste en une capacité à expliquer des événements de manière positive et responsable.

De manière très synthétique, voici les éléments qui ont retenu mon attention et éclairé une première approche du concept de l'OPTIMISME:

La conception directe de Carver et Scheier:

Charles Martin-Krumm explique: "Une conception directe de l’optimisme consiste à s’attendre à vivre des événements positifs et à ne pas vivre d’événements négatifs. Il s’agit de la prise en compte directe des attentes positives de l’individu.[...] Selon Carver et Scheier (2001), « les optimistes sont les personnes qui s’attendent à vivre des expériences positives dans le futur. Les pessimistes sont celles qui s’attendent à vivre des expériences négatives » (p. 31)." Cette conception de l'optimisme est donc à relier à la confiance en l'avenir et au fait de penser que les événements positifs auront plus de chance à vous arriver dans le futur. C'est ce que Carver et Scheier ont défini comme l'optimisme dispositionnel: chacun aurait une disposition à être optimiste ou pessimiste. Dans ces conditions, un optimiste aura plus de facilités à surmonter les difficultés puisqu'il sera motivé par son but à atteindre qu'il conçoit comme accessible. Il sera plus stable sur le plan émotionnel et les épreuves auront moins d'impact sur son état psychologique et physique. 

Cet optimisme dispositionnel peut être mesuré par un test comme le Test d’Orientation de Vie (TOV) qui est reconnu comme l'un des meilleurs instruments pouvant mesurer l’optimisme (Marshall, Wortman, Kusulas, Hervig, & Vickers, 1992). Ce test est issu de la traduction du Live orientation Test de Carver et Scheier (1985). L'article précise ensuite "comment l'optimisme dispositionnel peut influer nos comportements et nos choix. En effet, on apprend que l'optimiste aura une tendance à  développer des "stratégies "vigilantes" (i.e., attitude non défensive, coping « actif », implication) alors que les pessimistes seraient plutôt enclins à adopter des stratégies « évitantes » (i.e., évitement, déni, fatalisme, résignation ;"

Que dire donc de l'impact d'une disposition à être optimiste sur la réussite scolaire et professionnelle?
Sans grande surprise, des études ont démontré une corrélation positive entre le niveau d'optimisme et la réussite scolaire (Robbins, Spence et Clark (1991)).

Intuitivement observable, mais aussi scientifiquement prouvé, l'optimisme d'un individu oriente positivement sa vie car sa croyance en un avenir satisfaisant va lui donner l'énergie et l'envie nécessaire pour surmonter les épreuves et avancer.

Ceci étant dit, la question est, en ce qui concerne les parents, les enseignants, les formateurs ou les managers, de savoir comment nous devenons optimiste. Est-ce héréditaire ou le devient-on grâce à l'expérience et à l'éducation? L'école peut-elle jouer un rôle? L'accompagnant, le parent, le manager le peuvent-ils également?

Des recherches ont montré un lien entre l'optimisme des enfants et celui de leurs parents. Cette corrélation serait altérée à l'adolescence de part la recherche d'individualité et d'autonomie du jeune qui ne souhaite plus s'identifier à ses parents. (Laursen & Collins, 1994; Heinonen, Raïkkönen et al., 2006). L'optimisme de l'enfant serait lié à celui de ses parents qui influencent également le contexte et l'éducation de leur enfant, contribuant ainsi à développer son optimisme. Hérédité et éducation seraient donc deux facteurs influents et interdépendants. Cependant Charles Martin-Krumm conclut ce chapitre en précisant que des recherches sont encore nécessaires pour "comprendre les processus qui sont en œuvre quant à d’autres influences possibles liées à l’environnement, les autrui significatifs, l’impact des médias ou des événements vécus par les individus".

D'autres éléments très intéressants sont exposés dans cet article comme le fait que les individus peuvent être tout à la fois optimistes et pessimistes selon les contextes dans lesquels ils évoluent. 


La conception indirecte de l'optimisme

L'auteur de l'article expose dans un second chapitre les contours de la conception indirecte de l'optimisme, en particulier la théorie des styles attributionnels ou explicatifs.
Martin Seligman, fondateur de la psychologie positive, a défini l'optimisme "sous l’angle des caractéristiques individuelles en termes de style explicatif : la manière dont un individu explique les événements positifs ou négatifs auxquels il est confronté (Buchanan & Seligman,1995)." Les chercheurs expliquent ainsi que l'individu a tendance à expliquer les choses de manière uniforme et stable. Le "style explicatif" peut aussi être présenté comme une façon "optimiste" ou "pessimiste" de voir les causes d'un événement.

Ainsi selon M. Seligman, une personne pessimiste a tendance à expliquer ses échecs par des causes internes ("c'est de ma faute"), globales ("c'est ainsi pour tout le monde") et stables ("je perds tout le temps"); et ses succès à des causes externes ("tout est grâce à lui"), spécifiques et instables. A l'inverse, une personne optimiste expliquera plutôt ses échecs par des causes externes ("les conditions n'étaient pas optimales"), spécifiques ("pour cette fois je n'y suis pas arrivé") et instable ("demain il fera beau").

Des questionnaires ont été développés par les chercheurs pour mesurer le style explicatif, l’Attributional Style Questionnaire ou ASQ. Plusieurs adaptations de ce test ont été réalisées ensuite pour les mettre en oeuvre auprès des enfants, des adolescents et d'autres publics.

Comme pour la conception directe, la conception indirecte et le style explicatif ont permis le développement d'une recherche très active autour des conséquences de ces styles sur "l’efficience du système immunitaire (Brennan & Charnetsky, 2000), les blessures (Peterson, Bishop, Fletcher, Kaplan, et al., 2001), les pensées irrationnelles (Ziegler & Hawley, 2001), la satisfaction conjugale (e.g., Fincham, 2000), la victoire politique (e.g., Zullow, 1995), et différents types d’anxiétés (e.g., Mineka, Pury, & Luten, 1995). Le style explicatif est également impliqué dans la performance sportive (e.g., Prapavessis & Carron, 1988 ; Rettew & Reivich, 1995 ; Seligman, Nolen- Hoeksema, Thornton, & Thornton, 1990)."

 La question des antécédents du style explicatif se pause également. D'où vient-il? Peut-il évoluer durant la vie? Pour Seligman, il semble que le facteur génétique n'ait qu'une influence limitée en impactant certaines expériences. Des traumatismes auraient quant à eux un impact significatif sur le style explicatif pessimiste d'un individu. La confiance que des parents ont dans leur enfant auraient un impact positif et contribuerait à développer un style explicatif optimiste. Charles Martin-Krumm synthétise ainsi:" En résumé, la question des antécédents du style amène des réponses multiples. Le style semble être le résultat de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux, chacun contribuant vraisemblablement à cristalliser en l’individu une manière de percevoir le monde qui l’entoure, sans qu’il soit possible à l’heure actuelle de préciser le rôle et la nature de chacun d’entre eux."


Après ces repères posés sur le concept d'optimisme et celui de pessimisme, notre curiosité s'aiguise quant au leviers susceptibles de permettre à un individu de passer d'un style pessimiste à un style optimiste.  

Peut-on devenir optimiste? Peut-on accompagner un élève ou un adulte à modifier son mode de pensée vers un style explicatif optimiste?


Des recherches s'impliquent depuis de nombreuses années dans la compréhension du processus de développement de l'optimisme chez l'individu. Martin Seligman est considéré aujourd'hui comme l'un des plus grands psychologues du XXème siècle, il a été le président de l'Association Américaine de psychologie. Il est également reconnu comme le fondateur de la psychologie positive et l'un des plus grands chercheurs sur l'optimisme.

A l'école, des programmes d'éducation positive ont été mis en œuvre comme le Penn Resiliency Programme (PRP), le programme SPARKS ou PEP'S (en France avec Ilona Boniwell et Laure Reynaud). Cependant ils ne sont que très peu développés et restent encore confidentiels.

Pourtant, nous pouvons y trouver d'excellents outils susceptibles d'améliorer la résilience, l'expression des émotions, l'empathie, la résolution de problèmes par la responsabilisation... autant de réponses à nos préoccupations actuelles liées au climat scolaire , au développement de l'intelligence émotionnelle, à la gestion du stress et à la motivation des apprenants. 

A la lecture des ouvrages sur la psychologie positive, il apparaît une grande cohérence avec la pédagogie coopérative telle que nous la vivons en classe. Un lien naturel se dessine également avec l' accompagnement, la formation pour adultes, le pilotage et le travail en équipe. Une cohérence aussi avec notre travail réalisé autour de l'intelligence émotionnelle et de sa place dans le développement et la réussite de l'apprenant. Une cohérence enfin avec une approche responsabilisante et participative de la vie scolaire comme professionnelle.


Références:

-Martin Seligman: La force de l'optimisme, Editions Pocket 2018
 -Article de La croix "L'optimisme un moteur pour toute la famille" (janvier 2014), consulté le 17 avril 2019



Pour aller plus loin: 
-Illona Boniwell et Laure Reynaud, Parcours d'Educatin Positive et Scientifique, Editions Leduc Pratique 2018
-Audrey Akoun et Isabelle Pailleau: Apprendre autrement avec la pédagogie positive, Editions Eyrolles 2013






1 commentaire:

  1. L’optimisme n’est pas une nécessité, c’est un état d’esprit, une manière de pensée, on peut enseigner ou être formateur sans, même être pessimiste. Est-ce un élément facilitateur, les études semblent le montrer. Doit-on favoriser l’optimisme en cours, en formation, surement mais surtout on peut expliquer les raisons qui invitent à l’optimisme ou au pessimisme, expliquer les conséquences physiques et psychologiques. Mais la vie, les expériences vécues et nos dispositions vont décider en fonction des évènements, de notre état d’esprit, puis de notre manière de pensée. Le tout est d’en prendre conscience, de comprendre et d’accepter, puis de savoir que cet état peut être temporaire et que nous pouvons parfois décider de changer. Plus que d’être optimiste, car on ne sait comment la vie va évoluer, il faut avoir une réflexion sur soi et sur la vie qui amène à comprendre son état d’esprit et celui des autres pour développer une empathie vis-à-vis de soi et des autres. A trop se voir dans son optimisme on peut ne plus voir le monde et le comprendre. La compréhension des phénomènes psychologiques, des comportements liés sont utiles pour l’enseignant et pour le formateur.

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