Pourquoi, dans un système bien rodé où les résultats au bac sont satisfaisants, devrais-je modifier mes pratiques pour plus d'interactions et de coopération entre mes élèves?
Pourquoi imposer ces dispositifs à des élèves qui préfèrent rester tranquillement installés face à leurs enseignants?
Pourquoi prendre du temps pour travailler en groupes avec la pression des programmes et de l'examen final?
Il peut sembler légitime qu'un certain nombre d'enseignants du collège et du lycée se posent ces questions.
Tout d'abord, mettons-nous d'accord sur le concept. Coopérer en classe est à considérer ici dans son ensemble. Il s'agit donc de toutes les situations de classe durant lesquelles les élèves sont en interactions: toutes les situations d'entraide, d'aide, de tutorat et de travail de groupes.
Pour commencer, voici une petite vidéo synthétique de Nicolas VOS qui nous éclaire sur quelques pistes de réponses:
Voici présentée sous forme de carte mentale (réalisée avec XMind), une analyse qui ne se veut pas exhaustive. L'idée est de partager un regard critique et passionné sur ces pratiques et de présenter de manière claire le large spectre de leurs impacts positifs sur les élèves comme sur les enseignants. Ce regard m'amène donc à relier les apports de la recherche au terrain, à me positionner dans cette interface bouillonnante dans laquelle nous sommes nombreux à nous questionner pour tenter de répondre aux questionnements actuels et justifiés des enseignants.
Pour visionner et télécharger la carte, cliquez ici! |
1- Du côté des élèves...
Deux objectifs en classe: les élèves coopèrent pour apprendre ET AUSSI pour apprendre à coopérer.- La coopération en classe permet de mieux apprendre.
Sylvain Connac, enseignant-chercheur en Sciences de l'éducation à l'Université Paul Valéry de Montpellier, explique que
" c'est à plusieurs que l'on apprend tout seul".
La pédagogie coopérative n'est pas nouvelle et existe depuis de nombreuses années à travers la pédagogie Freinet, la classe mutuelle, la pédagogie active, la pédagogie de projet... Les neurosciences affectives et cognitives confortent aujourd'hui un savoir empirique et expérientiel. Stanislas Dehaene a ainsi identifié quatre piliers de l'apprentissage: l'attention, l'engagement actif, la rétroaction et la consolidation (pardon pour ce raccourci vraiment extrême). Apprendre en coopération est un levier (parmi d'autres) pour varier les dispositifs pédagogiques et aider ainsi les élèves à mieux gérer leur attention. De même l'engagement actif peut être atteint grâce aux interactions entre élèves. Les rétroactions sont facilitées par l'entraide et la coévaluation. Enfin, les temps de consolidation des apprentissages permettant une assimilation à long terme de nouvelles connaissances et compétences peuvent être plus efficaces en situation d'entraide et de tutorat. Coopérer en classe permet donc de rendre les élèves actifs, engagés et apprenants.
Des courants issus de la psychologie positive (Mihaly Csikszentmihalyi) et des neurosciences affectives (Catherine Gueguen) prennent également comme point d'appui l'affect dans les apprentissages. Les travaux d'Antonio Damasio, médecin, professeur en neurologie, neurosciences et psychologie, et sa théorie des marqueurs somatiques, ont démontré que les émotions sont impliquées dans la prise de décision. Nous savons aujourd'hui qu'un élève éprouvant des difficultés psychologiques et ou du stress, n'est pas capable d'apprendre correctement. Alors son système limbique est inhibé et incapable de transmettre au cortex pré-frontal les messages nécessaires à une prise de décision et une réflexion. On sait également aujourd'hui que l'hippocampe, centre des apprentissages du cerveau humain, peut être altéré voire atrophié suite à un choc émotionnel. Coopérer en classe permet donc de développer un climat plus serein et participatif dans lequel les jeunes se retrouvent entre pairs pour échanger, apprendre, réfléchir, construire leurs savoirs; sous le regard attentif et empathique de l'enseignant.
Pour illustrer les apports de la recherche sur la qualité des apprentissages voici une vidéo de Synlab:
-La coopération en classe permet de développer des compétences psychosociales
Toutes les situations de coopération en classe, qu'il s'agisse de l'entraide, du tutorat ou des travaux de groupes, permettent aux élèves de développer des compétences spécifiques: qualité d'écoute, empathie, attention à l'autre, renoncement, capacité à débattre et à échanger des points de vue, responsabilisation, autonomie... Ces compétences sont également rassemblées sous le terme d'Intelligence Emotionnelle dont Daniel Goleman a le vulgarisé le concept aux États-Unis à la fin du XXème siècle. Il s'agit de l'ensemble des habiletés permettant à un individu de connaître et maîtriser ses propres émotions d'une part; de reconnaître et de comprendre les émotions des autres d'autres part, pour mieux entrer en relation, mieux vivre et travailler en équipe.-La coopération en classe pour mieux "s'adapter" aux nouveaux jeunes
Cette affirmation fait débat. Est-ce à l'enseignant de s'adapter ou à l'élève de faire preuve de plus de concentration et de persévérance à écouter les cours magistraux? S'adapter aux élèves ne constitue-t-il pas un signe d'un manque d'autorité de l'enseignant?En pédagogie coopérative, vous l'aurez compris, l'enseignant change de posture et assume le fait de mettre en œuvre des situations actives dans le but de permettre à ses élèves de prendre plaisir à apprendre et de s'impliquer. L'autorité ne doit pas pour autant être remise en cause.
Nous retrouvons ici le concept de Flow venu des États-Unis:
"Il s’agit d’un état d’épanouissement lié à une profonde implication et au sentiment d’absorption que les personnes ressentent lorsqu’elles sont confrontées à des tâches dont les exigences sont élevées et qu’elles perçoivent que leurs compétences leur permettent de relever ces défis. Le flow est décrit comme une expérience optimale au cours de laquelle les personnes sont profondément motivées à persister dans leurs activités. De nombreux travaux scientifiques mettent en évidence que le flow a d’importantes répercussions sur l’évolution de soi, en contribuant à la fois au bien-être et au bon fonctionnement personnel dans la vie quotidienne"
(EFRN, 2014, traduction Heutte, 2017a, p170).
L'enseignant agit ainsi sur la motivation et l'engagement de ses élèves. En variant les situations et en rythmant les cours, il agit également sur leur attention et leur capacité à écouter attentivement durant les temps de transmissions plus traditionnels.
Comme l'expliquerait merveilleusement Jean-Charles Cailliez (vice-président innovation à l'Université de Lille, classe renversée, Hémisp4aire), les situations d'interactions permettent aussi d'une certaine manière de renforcer l'intérêt de certains élèves pour les cours plus magistraux qu'ils pouvaient juger ennuyeux mais qui deviennent des temps de calme et de ressourcement en complément des temps collaboratifs.
Mettre en œuvre la coopération en classe ne veut pas dire que l'enseignant ne gère pas son groupe. Il doit expliciter les règles, définir un cadre, des limites à ne pas dépasser et des objectifs de production et d'apprentissages exigeants. Sans ces contraintes et cette organisation, la coopération ne peut être efficace et peut nuire aux apprentissages.
-La coopération en classe est une modalité de la pédagogie de projet
Tout projet comporte une mise en œuvre coopérative. Chaque groupe s'investit dans un projet personnalisé dont l'objectif de production finale est commun. En coopération, les élèves mettent alors en œuvre des savoirs et compétences complexes qu'ils auraient difficilement mobilisés seuls.La pédagogie de projet implique la coopération entre enseignants qui doivent travailler en interdisciplinarité afin de permettre aux élèves d'appréhender la complexité du monde (Voir le magnifique ouvrage de Edgar Morin Enseigner à vivre et les propos de François Taddéi présentés plus bas).
Tout projet implique l'équipe dans la création d'une production originale et inédite. Ainsi convient-il plutôt de proposer la constitution de groupes hétérogènes. En effet, plus le groupe est hétérogène et plus les idées seront susceptibles d'être variées et créatives. L'important est toutefois, en pédagogie coopérative, de varier les modalités de constitution des groupes. Il peut donc être pertinent d'opter aussi pour la formation des groupes par centres d'intérêts ou objectifs communs. Si vous souhaitez approfondir ce point, vous pouvez aiguiser votre curiosité en lisant cette page!
2- Du côté des enseignants...
L'enseignant proposera la coopération au sein de sa classe d'autant plus facilement et naturellement qu'il a lui-même plaisir à coopérer avec ses collègues. Nous enseignons avec ce que nous sommes et il peut être très difficile de pratiquer une pédagogie coopérative si notre besoin est de voir notre groupe-classe silencieux et calme. La pédagogie coopérative implique un certain lâcher-prise, une prise de conscience que ce n'est pas parce-que les élèves parlent et échangent en souriant qu'ils ne travaillent pas. Le cadre clairement explicité sera le garant d'un climat de travail serein durant ces temps d'échanges. Une fois ce cadre défini, assumé par l'enseignant et respecté par les élèves, la pédagogie coopérative peut s'installer de manière progressive et efficace dans la classe.-La coopération en classe permet à l'enseignant de se centrer sur les apprentissages de ses élèves
Donner aux élèves des temps de travail collaboratif donne au professeur la possibilité d'observer ses élèves. Il peut ainsi mieux repérer leurs difficultés et leurs progrès, il peut les évaluer en situation réelle d'activité. En alternant ses postures et en passant de transmetteur à facilitateur/organisateur/personne ressource, il gagne en bien-être et se donne la possibilité d'accompagner certains élèves en difficultés de manière plus individualisée. Cette nouvelle posture apporte également au professeur la satisfaction de vivre une relation nouvelle avec ses élèves, plus proche de leurs préoccupations et plus à l'écoute de chacun.Mettre en œuvre des temps de coopération ne veut pas dire "faire en plus" mais "faire autrement"; permettre aux apprentissages et aux tâches complexes de se vivre en classe car durant ces moments l'élève a potentiellement le plus besoin de son professeur; placer les temps de mémorisation, d'entraînement et d'automatisation en dehors de la classe.
-La coopération permet de différencier et de prendre en compte l'hétérogénéité des élèves
L'hétérogénéité des groupes classes est grandissante en collège comme au lycée. Intégrer des méthodes de pédagogie coopérative en classe est un levier pour permettre à l'enseignant de mieux gérer ces différences. Différencier n'est pas individualiser. Différencier c'est mettre en œuvre un dispositif permettant aux élèves d'apprendre en utilisant le chemin qui lui convient le mieux. C'est par exemple proposer des situations d'entrainement incluant deux ou trois niveaux différents. Les élèves peuvent choisir leur activité en fonction de leur besoin (ce choix impactant leur motivation) ou l'enseignant oriente lui-même ses élèves. L'intérêt est ici de proposer aux élèves les plus rapides d'aller plus loin et de donner un temps aux élèves qui n'ont pas encore compris une notion, de le faire en s'entraidant ou avec l'aide de l'enseignant. Cette stratégie laisse la place au cours magistral pour un apport de début de séquence si besoin, mais il n'est pas indispensable. En effet, dans le cas de certains dispositifs collaboratifs, les élèves recherchent et construisent leurs apprentissages avant l'apport du professeur. Ce dernier reste toujours LA personne ressource, il devient aussi guide, facilitateur, organisateur.Céline Buchs, maître d'enseignement et de recherche dans le domaine "processus cognitifs et interactions sociales" à l'Université de Genève, explique, dans sa conférence sur la différenciation pédagogique, les apports de la coopération dans le domaine et les éléments à prendre ne compte pour mettre en œuvre une pédagogie coopérative efficace.
Pour aller plus loin, n'hésitez pas à parcourir les articles suivants. Vous y trouverez des pistes à explorer pour développer la coopération en classe:
-Coopération et travail de groupes
-Cinq clés pour développer l'intelligence émotionnelle au collège et au lycée
-Débuter la coopération au lycée. Pourquoi? Comment?
-Ma classe flexible: OUI, mais pas mobile !
-Inscrire son enseignement dans un parcours d'élève
S'il y avait un argument à retenir, ne serait-ce pas celui-ci? Il nous perturbe peut-être mais nous oblige surtout à prendre de la hauteur...à sortir du collège...à sortir du lycée...à ne plus voir le Bac comme un achèvement mais comme une étape...à aller voir ce qui se passe après.Source: am-designthinking.blog |
Ces compétences, indispensables pour évoluer dans le monde actuel complexe et incertain, sont donc à développer à l'école, au collège, au lycée et tout au long de la vie. Le lycée se place aujourd'hui dans un parcours Bac-3ans/Bac +3ans qui implique une certaine évolution de ses visées. Développer la coopération apparaît donc bien comme un levier pour agir au quotidien et contribuer à développer chez les jeunes cette intelligence émotionnelle qui leur permettra de surmonter les épreuves, de s'adapter et de s'épanouir.
En guise de conclusion, je ne peux m'empêcher de partager la vidéo qui suit dans laquelle François Taddéi nous partage son point de vue et toute l'importance qu'il donne à l'interdisciplinarité, le collectif et l'apprentissage tout au long de la vie. Vous y trouverez le sens de cette fable indienne de l'éléphant et les six aveugles, magnifique illustration de l'intelligence collective.
Pour en savoir plus, voici quelques articles, vidéos et ouvrages passionnants:
-"L'environnement optimal d'apprentissage: contribution de la recherche empirique sur les déterminants psychologiques de l'expérience positive subjective aux sciences de l'éducation et de la formation pour adultes" un article de Jean Heutte au sujet de la théorie de Flow de Mihaly Csikszentmihalyi -"L'intelligence émotionnelle" de Daniel Goleman aux édition J'ai lu
-"Apprendre au XXIème siècle, le pari de l'intelligence collective" article de The Conversation
-"Apprendre ua XXIème siècle", de François Taddéi, aux éditions Calmann Levy
-"Enseigner à Vivre" de Edgar Morin
-"Enseigner sans exclure, la pédagogie du Colibri" de Sylvain Connac aux éditions ESF
-"Osez la pédagogie coopérative au collège et au lycée" aux édition ESF
-Les travaux de Céline Buchs du CNESCO vidéo-conférences et articles
-Un article sur "Les quatre piliers de l'apprentissage" de Stanislas Dehaene
-"Apprendre au XXIème siècle, le pari de l'intelligence collective" article de The Conversation
-"Apprendre ua XXIème siècle", de François Taddéi, aux éditions Calmann Levy
-"Enseigner à Vivre" de Edgar Morin
-"Enseigner sans exclure, la pédagogie du Colibri" de Sylvain Connac aux éditions ESF
-"Osez la pédagogie coopérative au collège et au lycée" aux édition ESF
-Les travaux de Céline Buchs du CNESCO vidéo-conférences et articles
-Un article sur "Les quatre piliers de l'apprentissage" de Stanislas Dehaene
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